Sorti en octobre 1999, Pharaoh + Cleopatra est bien plus qu’un simple jeu de gestion : c’est une plongée ambitieuse et détaillée dans le berceau de la civilisation égyptienne. Développé par Impressions Games et publié par Sierra (une filiale d’Activision), cet opus marque une évolution significative dans la célèbre série de city-builders initiée par Caesar III. En transposant la formule éprouvée de sa série dans l’Égypte des pharaons, le studio a su créer une expérience à la fois familière et résolument nouvelle, mêlant gestion urbaine complexe, profondeur historique et défi stratégique. Cette analyse se propose de décortiquer les mécanismes, l’identité et l’héritage de ce titre qui a marqué son époque et continue de fasciner les joueurs.
Le city-building réinventé par le Nil
Le cœur du gameplay de Pharaoh repose sur une adaptation minutieuse de la mécanique de Caesar III à un contexte géographique et historique unique. Le joueur doit gérer tous les aspects d’une cité égyptienne, de la construction d’habitations pour les immigrants au développement d’une économie florissante, en passant par la satisfaction de besoins sociaux et religieux toujours plus complexes. La grande innovation réside dans la gestion de l’agriculture, entièrement conditionnée par les crues du Nil. Le joueur doit construire ses fermes sur les plaines inondables et gérer l’irrigation via des canaux pour assurer des récoltes suffisantes, introduisant une contrainte naturelle et réaliste qui rythme la vie de la cité. Cette gestion des ressources est cruciale, car les denrées, qu’elles soient alimentaires (céréales, poisson, viande) ou manufacturées (lin, poterie, papyrus), forment des chaînes de production interconnectées dont l’équilibre précaire détermine la prospérité ou le déclin de la ville.
La dimension divine et culturelle
Au-delà de la simple survie, Pharaoh intègre une couche spirituelle et culturelle essentielle. Le panthéon égyptien, avec des divinités comme Râ, Osiris, Seth ou Bastet, occupe une place centrale dans la gestion de la cité. Chaque dieu, selon sa nature, protège un aspect spécifique de la ville (l’agriculture, l’industrie, la guerre, etc.) et doit être apaisé par la construction de temples, de sanctuaires et par l’organisation régulière de festivals. Leur satisfaction peut apporter des bénédictions, comme de meilleures récoltes, tandis que leur colère se manifeste par des catastrophes divines. Parallèlement, le jeu possède une indéniable valeur pédagogique. Une base de données encyclopédique intégrée, accessible par un clic droit sur les bâtiments, offre des informations sur la civilisation égyptienne, reliant ainsi le divertissement à l’apprentissage.
L’ambition monumentale et la gestion dynastique
La construction de monuments gigantesques constitue l’innovation majeure et la marque de fabrique de Pharaoh. Le jeu permet d’ériger des merveilles architecturales comme la pyramide de Saqqarah, le temple de Karnak ou le phare d’Alexandrie. Ces projets pharaoniques ne sont pas de simples bâtiments que l’on place d’un clic ; ils demandent une planification à long terme, la mobilisation d’une main-d’œuvre spécialisée et l’acheminement continu d’énormes quantités de ressources (pierres, bois, etc.). Voir ces structures s’élever progressivement, bloc par bloc, apporte une immense satisfaction et une dimension épique à la partie. La progression du joueur se fait à l’échelle d’une dynastie. Il commence comme un simple chef de village et, au fil des missions et des succès, gravit les échelons pour finalement incarner le Pharaon lui-même, son règne s’étendant sur plusieurs générations.
La stratégie militaire et commerciale
Si la pierre angulaire du jeu est la gestion urbaine, les aspects militaires et commerciaux n’en sont pas moins importants. Le joueur peut être confronté à des invasions ennemies et doit constituer une armée pour défendre sa cité. La gestion militaire est structurée : il faut construire des casernes, des académies pour l’entraînement et des ateliers pour produire des armes, le tout organisé autour de trois types d’unités (infanterie, archers et conducteurs de chars). La présence de la marine, avec des navires de guerre et de transport, ajoute une dimension tactique supplémentaire dans certaines missions. Le commerce est, quant à lui, vital pour l’économie. Il permet d’exporter les surplus de production et d’importer les ressources manquantes, via le Nil ou les caravanes du désert. Une gestion avisée des routes commerciales est souvent la clé pour éviter la banqueroute et accumuler les richesses nécessaires aux grands travaux.
L’apport de l’extension Cléopâtre
L’extension Cléopâtre : La reine du Nil, incluse dans ce bundle, étend considérablement l’expérience de jeu. Elle propose une nouvelle campagne de quatre chapitres qui prolonge la narration historique jusqu’à la période ptolémaïque. Elle introduit également de nouveaux bâtiments (comme les zoos ou les ateliers de peinture), de nouvelles denrées (huile, henné), de nouveaux monuments (temple d’Abou Simbel) et de nouveaux défis, comme des missions de survie ou en temps limité. L’interface est optimisée avec des raccourcis claviers et un meilleur contrôle des messages. Cependant, l’extension est aussi critiquée pour ne pas avoir corrigé certains défauts du jeu original, comme une certaine lenteur dans le déroulement des parties ou des incohérences dans la gestion de la main-d’œuvre, ce qui en fait un contenu plus destiné aux fans qu’une refonte profonde.
Postérité et réception critique
Dès sa sortie, Pharaoh a été salué par la critique pour sa profondeur, son originalité et son souci du détail historique, obtenant des notes excellentes dans de nombreux magazines spécialisés. Il est aujourd’hui considéré comme un classique intemporel du genre, une référence souvent citée aux côtés de Caesar III. Sa longévité est attestée par des communautés de joueurs toujours actives et par la récente sortie d’un remake, Pharaoh: A New Era, en 2023, preuve de l’affection et de l’intérêt durable qu’il suscite. Le bundle Pharaoh + Cleopatra représente ainsi la version définitive et la plus complète pour (re)découvrir ce chef-d’œuvre de la simulation historique, un titre qui a su allier avec brio le défi stratégique exigeant et l’immersion dans un des cadres les plus fascinants de l’Histoire.
Conclusion
Pharaoh + Cleopatra demeure, plus de deux décennies après sa sortie, une pierre angulaire du city-building. Son excellence ne réside pas dans une révolution du genre, mais dans la maîtrise et l’enrichissement d’une formule éprouvée. En ancrant ses mécaniques dans le terreau fertile de l’Égypte antique, Impressions Games a créé une expérience d’une richesse et d’une cohérence remarquables. Entre la gestion méticuleuse des crues du Nil, la nécessaire piété envers les dieux et l’ambition démesurée des constructions monumentales, le jeu captive par sa complexité et son authenticité. S’il peut se montrer impitoyable avec les joueurs improvisateurs, il récompense magnifiquement la planification et la patience. C’est cette profondeur, servie par une direction artistique soignée et une réelle ambition pédagogique, qui assure son statut de classique et son pouvoir d’évocation intact.




Poster un Commentaire