Interview de Romuald Serrado de Adipson Studio

3 Geeks

Ce jeu indépendant, 3 Geeks, m’a interpellé … déjà parce que le créateur est bien sympathique mais surtout parce que le jeu est rempli de clins d’oeil qui font référence à la culture française et ça, c’est tout simplement génial. Et puis, dans tous les livres, dans tous les films, les héros sont toujours des américains, pour une fois qu’ils viennent de notre terroir, c’est tant mieux !

Graal : Bonjour Romuald. 3 Geeks, que vous avez créé seul, vous a pris 7 années pour arriver au résultat actuel. Globalement, qu’est-ce qui a été le plus difficile dans l’ensemble de votre travail ?

Romuald Serrado : Bonjour sacré Graal !

Alors pour commencer, merci d’avoir été le tout premier site à publier un article sur la sortie du jeu. J’ai eu la chance d’avoir le soutien de quelques autres sites français passionnés par les jeux d’aventure et ça fait du bien de se sentir soutenu dans cette drôle d’aventure par des compatriotes. Ils ont d’ailleurs eu droit à quelques easter eggs dans le jeu sans le savoir avant la sortie. 😉

Alors, en effet cela a pris 7 années, mais il faut savoir par contre que tout cela a été en fait plutôt périodique. Ce jeu était à la base un défi personnel qui a germé dans ma tête dans les années 80. À vrai dire, il y a donc quasi plus de 30 ans que les 1eres lignes de code de ce projet ont été affichées sur un écran et c’était sur un Commodore 64 et son basic.

La trame de ce jeu était alors une aventure textuelle (style le jeu The Pawn) qui mettait en scène un personnage seul, du nom de Rodolphe, qui avait échoué sur une île déserte et devait résoudre des énigmes pour s’en échapper…Il a ensuite évolué avec un design sur un Atari ST (style Rick Dangerous) pour terminer abandonné et perdu sur une disquette 3 pouces de 1,4 Mega.

Je reprendrai alors tout à zéro avec les nombreux outils proposés de nos jours et plus particulièrement le logiciel AGS de Chris Jones sur lequel je me suis formé en autodidacte.

Mais si le jeu a pris autant de temps entre 2012 à 2019 c’est tout simplement parce qu’il a été fait par passion et sans vraiment de but commercial au départ. C’était un hobby à côté d’une activité de freelance sur internet et de dessinateur publicitaire que je pratique depuis 2002. Par contre…si je dois en faire un nouveau, il ne faudra sûrement pas attendre aussi longtemps.

Le plus difficile a été de tout prendre à zéro et d’apprendre les bases du logiciel de programmation Adventure Game Studio. Mais aussi de ne pas abandonner ce défi un peu fou tout en essayant de garder une vie sociale sans prendre le risque de perdre les proches de son entourage en s’isolant ou en délaissant l’autre. Pas facile de s’adapter alors qu’il s’agit ici d’un domaine bien plus que chronophage !

Mais la motivation a été plus forte et ce projet de toute une vie, si petit qu’il soit dans l’univers du jeu vidéo, est devenu un challenge réussi dès le moment où il a été compilé et joué pour la première fois par une personne autre que moi. La première à tester le jeu a été ma compagne ! (oui la fameuse blonde patiente qui l’a terminé en 8 heures alors qu’elle n’avait jamais joué à un point and click de sa vie) .

Finir le jeu était la priorité pour boucler quelque chose qui sommeillait en moi depuis les années 80. Le voir en vente aujourd’hui sur des plateformes comme itch,io et Steam et surtout le voir amuser des joueurs n’est pour moi que du bonus et du plaisir en plus que je prend sans problème !

Après j’avouerai que ce qui a été plutôt compliqué sur la fin a été de le placer sur Steam. C’est une plateforme vraiment efficace bien que tout créateur de jeu a conscience que sa production sera forcément noyée dans une masse de jeux qui sortent par milliers chaque année…Mais lorsque l’on débute sur Steam et qu’en plus on essaie de se dépatouiller en français…on a quand même bien mérité d’en vendre au moins 1 ! 🙂

Graal : Vous considérez-vous comme un geek et le jeu est-il un témoignage ?

Romuald Serrado : Absolument pas ! Jusqu’à l’été dernier, j’avais encore un vieux téléphone Nokia qui ne va pas sur internet entre les mains et je pense même encore ce jour à reprendre un vieux modèle à clapet.

Non je suis plutôt issus de la génération qui a vu naître le jeu vidéo, et vu évoluer au fil du temps toutes les nouvelles technologies, mais tout en restant un peu éloigné. J’ai toujours gardé un oeil sur l’informatique en évoluant avec les premiers ordinateurs comme les Atari ST, les Amiga puis les PC et les consoles avec une préférence pour la xbox, mais je me suis très vite tourné professionnellement vers des métiers bien plus artistiques comme le dessin publicitaire, le dessin artistique et ensuite le design de sites internet pour lesquels j’avais des formations plus adaptées. Actuellement je suis rédacteur Web spécialisé Seo pour diverses entreprises dans l’univers du sport et des casinos en ligne depuis 2014…

Mais si jamais je vois que le jeu 3 Geeks remporte un franc succès, il n’est pas exclu que je consacre encore plus de temps à un autre projet pour le studio Adipson. C’est toujours motivant de voir que l’on peut déclencher des émotions chez les autres avec quelque chose qui sort tout droit de son esprit.

Graal : À travers tous les obstacles et difficultés que vous avez pu rencontrer, si vous devez donner des conseils aux jeunes (et moins jeunes) qui veulent se lancer dans le monde des jeux vidéo, quels sont-ils ?

Romuald Serrado : Le premier conseil serait de ne jamais partir dans tous les sens. De bien structurer son jeu en cimentant efficacement sa structure. Il ne s’agit pas de faire des scènes et de les relier entre elles, mais plutôt de construire une histoire d’un thème abordé. Identifier dès le début ce que l’on a dire et ce que vous voulez transmettre au joueur. Pour ma part, avec 3 GEEKS, j’avais pour ambition de fournir des migraines à mes proches en les obligeant à se torturer l’esprit à découvrir des énigmes sorties de mon imagination parfois un peu tordue…il faut bien l’avouer. Je ne compte pas le nombre d’amis dans mon entourage qui ont abandonné dès le début du jeu qui démarrait à l’époque à la cabane dans la forêt (chapitre 2 actuellement).

Si je devais donner un conseil vraiment judicieux à ces jeunes, ce serait tout d’abord de s’instruire en lisant des livres sur la question. Je pourrai par exemple leur conseiller le livre de Marc Albinet, sorti en 2015 sous le nom de « Concevoir un jeu vidéo ». Simple, clair, mais aussi très ludique et toujours d’actualité.

L’autre conseil serait de ne pas faire cela avec un objectif lucratif. Il faut faire son jeu pour soi avant tout et ne surtout pas se mettre en mode capitaliste. Il faut que ce soit une passion avant tout ; des valeurs que l’on retrouvait il faut bien l’avouer plus souvent chez les programmeurs dans les années 80.

Ensuite, je dirai qu’il faut un petit grain de folie pour faire un projet de la sorte, mais ne surtout pas s’isoler. Le mieux reste d’être à plusieurs sur un projet, bien que d’être seul peut permettre de proposer un jeu qui nous ressemble bien plus.

Je ne sais pas à ce jour et à cette occasion si le jeu sera bien perçu, sachant qu’il part de loin alors que je le classe déjà personnellement en PEGI 30…Il vient d’être lancé et ne sera certainement pas compris par la nouvelle génération.

Mais si je peux donner un autre et dernier conseil qui m’a toujours servi dans la vie, ce serait de bien prendre en compte que « lorsque tu fais quelque chose, sache que tu auras contre toi, ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui voulaient le contraire, et l’immense majorité de ceux qui ne voulaient rien faire. »

C’est de Confucius et c’est un dicton qui me suit depuis de nombreuses années et qui a fait ma force et surtout qui a contribué à ce que ce jeu soit terminé.

Une fois que tu as bien pris en compte cela, tu peux abattre des montagnes, car plus personne ne peut vraiment te toucher. Je pourrai développer des heures autour de tout cela, mais ça risque de faire un peu indigeste pour le lecteur de Graal alors je vais stopper là pour les conseils !

Graal : Vous parlez de l’éventualité d’un second projet. Est-ce que ce sera un 4 Geeks ou quelque chose de complètement différent ? Pour y aller directement, qu’est-ce que vous aimerez faire maintenant ?

Romuald Serrado : À vrai dire, j’ai dans la tête 2 autres projets, dont un que je veux passer en priorité, mais que je ne démarrerai pas tant que je n’aurai pas cette petite flamme en moi qui me dit que c’est le moment de donner encore plus de plaisir à ceux qui ont apprécié 3 GEEKS.

Alors ce ne sera pas forcément un 3 Geeks II, mais toujours dans mon style graphique cartoon 2D et surtout dans le style point and click qui cible un public restreint certes, mais dont la création sera avant tout une manière d’évacuer cette sorte de diarrhée créatrice et artistique qui envahit chaque jour mon cerveau…:)

Je ne veux pas en dire plus, mais ce sera avec un seul personnage jouable, la prise en compte de toutes les erreurs rapportées d’un premier jeu comme 3 Geeks, des améliorations dans le gameplay et surtout…un jeu qui ne soit plus Pegi 30, mais plutôt Pegi 16 ou 18 maximum !

« Nous sommes Adipson Studio…nous sommes 15 dans ma tête, mais je suis seul aux commandes… » C’est un peu avec cette citation que je n’ai pas encore déposé à l’INPI que je clôturerai cette interview amusante et j’espère utile pour les lecteurs.

Encore merci à Graal pour l’intérêt porté à ce petit jeu indépendant de toute une vie…